Après avoir totalement relancé sa carrière lors de la saison 2020/21, Petr Cornelie (2,11 m, 26 ans) a intégré l’Equipe de France, remporté une médaille olympique et voit s’ouvrir devant lui les portes de la NBA avec les Nuggets. Récit d’une renaissance.

lundi 11 octobre 2021 à 17:35 par Julien Guérineau

"Petr n’a pas répondu aux interrogations malgré beaucoup d’alertes du club autour d’un professionnalisme plus aigu, d’une prise de conscience réelle du haut niveau en termes de travail individuel, physique, d’hygiène, de concentration… Là, Petr, il tape dans le mur. C’est un peu le Titanic. Attention. La voie a l’air toute tracée. Oui, t’es beau, t’es grand, tu as tout pour y arriver mais attention, il y a des obstacles face à toi. Et aujourd’hui, il se fait mal. À lui de prendre la pleine mesure de son échec, de notre échec. Cela doit lui servir de leçon, de réveil. Il doit faire son examen de conscience et se dire : qu’est-ce que je veux faire ? Qu’est-ce que je veux devenir ?"

En avril 2017, Vincent Loriot, le directeur sportif du Mans, n’avait pas mâché ses mots à l’heure de faire le bilan de la saison de sa supposée pépite, Petr Cornelie. Un an plus tôt, le pur produit du centre de formation manceau avait dû attendre le deuxième tour de la draft (53e position) pour être appelé par les Denver Nuggets. Une première déception pour le joueur et le club après un exercice prometteur (9,6 pts et 5,4 rbds) mais marqué par des différences de point de vue avec le coach Erman Kunter. Christophe Le Bouille, son Président au MSB, n’avait pas attendu aussi longtemps pour sortir la sulfateuse. "Petr, il ne faut pas qu’il commence sa saison, il faut qu’il commence sa carrière !" Une sortie rare dans un basket français souvent policé. Et qui paraît aujourd’hui bien loin. Cet été, Petr Cornelie a passé une médaille olympique autour de son cou. Et quelques semaines plus tard, il a signé un two-way contract avec les Denver Nuggets, augmentant encore un peu plus l’imposant contingent français outre-Atlantique. Une renaissance ou plutôt une métamorphose pour un joueur qui a décidé de prendre son destin en main avec une remarquable volonté.

"Ma mère m’a rabâché qu’il fallait travailler pour obtenir des choses dans la vie. Mais tant qu’on n’a pas eu certaines expériences on ne comprend pas." Pour Cornelie, "l’expérience" aura constitué en une lente et inexorable descente dans la hiérarchie des intérieurs français. Après un exercice 2016-17 totalement raté au Mans, il enchaîne trois saisons sans grande saveur à Levallois, au Mans à nouveau puis à Pau. "J’ai eu la chance d’avoir eu des qualités physiques qui m’ont permis d’atteindre un certain niveau. J’étais en avance. Mais à un moment donné ça n’a plus suffi et j’ai pris du retard", analyse-t-il froidement. "Hard work beats talent when talent doesn’t work hard" disent les Américains. Le laborieux supplante le talentueux quand le talentueux ne travaille pas. Un adage que le néo Nugget a finalement intégré. "Je ne croyais pas profondément que le travail paye. Moi ça payait et je ne travaillais pas", sourit-il. "Le fond je l’ai touché quand j’ai vu des joueurs plus jeunes que moi, moins cotés au départ, et qui commençaient à me dépasser."

Son salut, Cornelie va le trouver dans les livres et au travers de rencontres. Le développement personnel fait irruption dans sa vie. Et si ces pratiques assez hétéroclites peuvent faire sourire, le joueur s’y consacre pleinement et modifie radicalement son approche. "Le changement ça a été de me dire que si je travaille tous les jours, je ne peux que progresser. Ça ne veut pas dire que je ne connaîtrai pas l’échec mais je vais progresser. J’avais besoin de me faire casser la gueule pour comprendre. J’ai consacré toute mon énergie au service de mon objectif. Du moment où je me lève jusqu’à ce que je me couche. Même dans mes moments off. Je devais trouver des choses qui allaient m’apporter. En début de saison mon objectif c’était d’être la personne qui travaille le plus en France. Même si ce n’était pas la réalité, dans ma tête je voulais me dire que c’était impossible que quelqu’un travaille plus que moi. Premier à la salle, dernier parti. C’est bateau comme phrase. Mais j’ai essayé de l’appliquer. Je redémarrais tous les jours comme si c’était le premier jour."

Dans le Béarn, Cornelie s’appuie sur Jimmy Vérove. L’ancien champion d’Europe avec le CSP lui sert d’entraîneur particulier. "Lui ne dort jamais", rigole-t-il. "Je réfléchissais à comment rajouter une séance aux deux quotidiennes du club. Et pour ne pas me laisser de porte de sortie, je lui envoyais mon message : demain 6h30. Je me battais jour après jour contre la mentalité de loser qui nous habite tous." Un stakhanovisme qui va rapidement payer. Dans un championnat morcelé par le Covid, il tourne à 17,7 points et 5,7 rebonds de moyenne en janvier. 15,4 points et 8,4 rebonds en mars. 20,3 points et 9,5 rebonds en avril.

Le potentiel hier affiché par séquences est désormais constamment en action. En l’espèce un poste 4/5 de 2,11 m d’une remarquable mobilité et doté d’un tir extérieur redoutable. Les flashes ont laissé place à la régularité. Et une nouvelle fois, c’est dans son approche mentale de son métier que Cornelie puise sa nouvelle force.  "Tout marche dans l’absolu", estime-t-il à propos du développement personnel. "C’est quelque chose qui a changé ma vie. Les résultats parlent d’eux-mêmes. Sauf qu’il ne faut pas juste se reposer là-dessus. La loi de l’attraction par exemple. Penser positif et de bonnes choses arrivent. Oui mais elles ne vont pas arriver toute seules. A un moment donné il faut travailler. Donc c’est une remise en question personnelle. Se poser la question : Est-ce qu’on donne tout pour arriver à ses objectifs ? Il faut réussir à avoir une discipline sur du long terme. La motivation ne suffit pas. Elle va durer une semaine. C’est la discipline qui fait la différence. C’est là que se fait le tri avec ceux qui ont lu quelque chose, l’appliquent une semaine et arrêtent parce qu’ils ne voient pas de résultats. Quand je regarde les plus grands, je me dis que ce sont des mecs qui ont compris ça très jeunes. Moi je me suis dit : tout ce que je n’ai pas envie de faire, je vais le faire." La Mamba mentality de Kobe Bryant made in Béarn.

Fin mai, Petr Cornelie figure dans la liste des partenaires d’entraînement censés donner la réplique à l’équipe olympique à Pau. Mais à son arrivée à l’INSEP, pour débuter la préparation, le Palois a déjà changé de statut, passant dans la case suppléant suite à la défection de Mathias Lessort. Et lorsqu’il débarque à la Villa Navarre la blessure d’Amath M’Baye le propulse dans les 12 pour Tokyo. Un improbable concours de circonstances et une saison sportivement réussie ont envoyé Cornelie aux Jeux Olympiques alors qu’il n’a jamais mis les pieds chez les A et qu’il n’a plus porté le maillot de l’Equipe de France depuis l’Euro U20 en 2014. "C’était un objectif. Je ne pensais pas que ça arriverait si tôt… enfin si tôt…", glisse le jeune homme de 26 ans. "J’ai pris ça comme une chance, une opportunité de jouer avec des gars qui sont au niveau supérieur. Je n’ai pas pensé que fait que j’allais être ou pas dans l’équipe mais plutôt comment progresser. Des joueurs ont fait des choix. Et moi j’étais là ! Avec l’envie de jouer et de participer. J’aurais pu aller m’entraîner à Dallas ou Denver mais je n’aurais pas progressé autant qu’en m’entraînant chaque jour face au type de joueurs qui étaient là et surtout en partageant une expérience incroyable."

Avec les Bleus, Cornelie a repris ses (nouvelles) habitudes. Sur le groupe WhatsApp du staff de l’Equipe de France, un message signé Yann Barbitch s’affichait systématiquement sur les téléphones : "je pars à la salle en avance avec Petr." Le 12e homme savait parfaitement qu’il passerait peu de temps sur les parquets lors des matches mais son investissement n’a pas varié. "Tout le monde est resté ultra soudé et ultra positif", insiste-t-il. "Chacun était concentré sur ce qu’il pouvait apporter. Quel que soit son temps de jeu, faible ou important. Et il y a eu de très belles surprises comme Vincent Poirier. Personnellement je me disais : sois prêt. Même si c’est 30 secondes en milieu de quatrième quart-temps. C’était ma philosophie. Je ne voulais pas me dire, le coach et l’équipe comptaient sur moi et je n’ai pas répondu présent. Cela aurait été le pire. L’acceptation du rôle pour moi a été plus facile que pour d’autres. C’était déjà une chance. Je suis content d’avoir pu participer à plusieurs matches."

Face à l’Espagne pour ses grands débuts internationaux, les Etats-Unis en ouverture des Jeux puis la République Tchèque et l’Iran, Cornelie a bénéficié de quelques minutes et participé à la conquête d’une médaille d’argent. "Je suis juste heureux. Je n’aurais pas imaginé tout ça en septembre dernier. C’est un sentiment incroyable ! Quand on gagne une médaille dès sa première campagne on ne mesure pas le degré de difficulté. Des générations se sont battues pour ça sans y parvenir."

Mais après avoir rapidement connu l’ivresse des cimes avec l’Equipe de France, Petr Cornelie pourrait avoir à patienter avant de porter à nouveau le maillot bleu. Alors que les rencontres de qualification pour la Coupe du Monde se profilent à l’horizon (novembre puis février), son nouveau statut va le priver de ces rendez-vous. Il n’a pas échappé aux Nuggets que leur drafté avait changé de dimension et la franchise des Rocheuses s’est positionnée pour lui offrir un two-way contract qui lui permettra de partager son temps entre la NBA et la G-League. Le joueur aurait sans doute pu signer un contrat plus lucratif en Europe mais il sait bien que sa cote est aujourd’hui au plus haut et qu’une chance NBA ne se présente pas si fréquemment. Et au royaume où les forçats du travail sont encensés, la nouvelle version de Petr Cornelie devrait séduire.